Le suicide en milieu de travail

Déconstruire les tabous

En octobre dernier, la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval et l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS) rendaient publics les résultats assez troublants d’un sondage mené auprès de plus de 300 répondants du réseau de l’AQPS.

On y découvrait notamment qu’au cours de la dernière année, trois répondants sur dix avaient été confrontés à un suicide survenu dans leur entourage. Pour 28 % d’entre eux, la victime était un collègue de travail et dans 16 % des cas, l’irréparable s’était produit sur les lieux mêmes du travail.

UN TABOU

Pour avoir vécu lui-même de près ce genre de situation, Jean-Pierre Brun, professeur de management à l’Université Laval, directeur de la Chaire et consultant, s’est intéressé à la problématique du suicide en milieu de travail.

« Voilà ans que j’accompagne des organisations et c’est un phénomène qu’on vit plus qu’avant, assure-t-il. Mais la question demeure toujours largement taboue au sein des entreprises. On refuse d’en parler en amont, à titre de prévention. Or, il faut déconstruire les tabous qui entourent cet enjeu. »

DÉPASSER LES ACTIONS DE SURFACE

Ce n’est pas que les entreprises ne soient pas sensibilisées à divers degrés, rappelle Jean-Pierre Brun. Mais elles n’ont pas assez fait en matière de prévention.

« À l’heure actuelle, elles se limitent à des actions de surface : distribuer des dépliants, des annonces, des affiches. Ce n’est pas mauvais, mais il faut faire beaucoup plus qu’informer ; il faut commencer par lever l’omerta et parler ouvertement de la question. »

À cet égard, M. Brun rappelle que le Service de police de la Ville de Montréal, en s’attaquant directement à la question, a réussi à réduire de 80 % le taux de suicide parmi ses policiers.

UN GUIDE

C’est dans cet esprit que la Chaire, en collaboration avec l’AQPS, travaille à l’élaboration d’un guide à l’intention des entreprises. « L’objectif de ce guide, qui sera publié à la fin de l’année, consiste à aider les milieux de travail à briser les tabous. » Et c’est une excellente nouvelle pour les milieux de travail.

La dépression

Un syndrome multiforme dont les causes sont encore mal précisées

On parle la plupart du temps de la dépression, comme s’il s’agissait d’une affection aux causes et aux contours bien définis. Mais s’il n’en tenait qu’à la Dre Valérie Tourjman, psychiatre, professeure à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et chercheure à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, on devrait plutôt parler des dépressions.

« Il ne s’agit pas autant d’une maladie que d’un syndrome dont les causes restent encore imparfaitement précisées, qui revêt plusieurs dimensions – cognitives, émotionnelles et physiques – , varie énormément d’une personne à l’autre et appelle ainsi des traitements multiples. »

PLUS RÉPANDUE QU’AUPARAVANT

Chose certaine, toutes les enquêtes indiquent que plus de gens que jamais auparavant sont aux prises avec des épisodes de dépression. « Plus la cohorte qu’on étudie est jeune, explique la Dre Tourjman, plus la prévalence de dépression augmente. Plusieurs facteurs sont apparus dans la société qui prédisposent les gens à développer des dépressions. »

Le premier facteur est bien sûr génétique : certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres d’entrer en dépression et, pour des raisons qui demeurent encore plus ou moins obscures, les femmes sont plus prédisposées que les hommes à en être affectées. « Le sexe d’une personne est l’un des facteurs importants de dépression. »

La privation de sommeil – même volontaire – est aussi un facteur de prédiction d’une dépression, tout comme l’obésité abdominale, annonciatrice de divers problèmes qui caractérisent la dépression.

MÉDICATION ET PSYCHOTHÉRAPIE

Deux grands types de traitement s’offrent aux personnes souffrant de dépression, soit la médication et la psychothérapie. « Dans les cas de dépression sévère, précise Dre. Tourjman, il faut privilégier la médication parce que la psychothérapie n’est pas aussi efficace. »

Plusieurs options d’antidépresseurs s’offrent à l’heure actuelle. Leur efficacité est similaire. La majorité d’entre eux agissent sur la sérotonine – le neurotransmetteur régulateur de l’humeur – , mais certains agissent aussi sur d’autres neurotransmetteurs comme la dopamine et la noradrénaline, à divers degrés. Cela permet au médecin de choisir et d’adapter le traitement en fonction des symptômes, de la réponse du patient au traitement et selon la gravité de l’état du patient.

HYGIÈNE DE VIE

Dre Tourjman soutient que l’hygiène de vie peut jouer un rôle dans la prévention de la dépression : saine alimentation, sommeil, poids santé, nécessité de stimuler les centres de plaisir et certaines techniques de gestion du stress. « Mais, prévient-elle, on ne doit surtout pas penser que le rôle de l’hygiène de vie est plus important que les autres facteurs qui entraînent les risques de dépression. »

Osez le dire : « Docteur, je suis déprimé (e) »

Parler santé mentale avec son médecin n’est pas toujours évident. Il faut obtenir un rendez-vous, puis disposer d’assez de temps pour exposer son problème à un généraliste, souvent pressé, surtout si on consulte dans une clinique sans rendez-vous.

Pourtant, le besoin est criant. « Près de la moitié des personnes qui consultent un médecin généraliste le font pour des problèmes psychologiques », indique Dr Angelo Fallu, psychiatre et directeur de la clinique Woodward, à Sherbrooke.

UN SYMPTÔME PEUT EN CACHER UN AUTRE

Qui plus est, plus de 80 % des personnes qui souffrent d’une dépression majeure ou d’un trouble anxieux se plaignent d’abord de douleurs au niveau somatique, signale le médecin. Elles décrivent des symptômes physiques qui masquent souvent un problème de santé mentale : difficulté à se concentrer, manque de sommeil, fatigue chronique, douleurs. Ces malaises cachent parfois une souffrance psychique que le médecin doit détecter en posant des questions précises. « Le médecin doit être attentif et à l’affut, sinon il risque de passer à côté du diagnostic. »

LA PEUR DES JUGEMENTS

Pourquoi cette réticence à parler d’un malaise psychologique à son médecin ? La tristesse, la dépression et le manque d’intérêt sont des sentiments difficiles à avouer, reconnaît le spécialiste. En effet, ils sont en général perçus, par le patient et par son entourage, comme des aveux de faiblesse. « Il/Elle devrait se secouer. Il/Elle s’écoute trop » sont des propos qu’on entend trop souvent.

RETARD À CONSULTER

Bien des personnes attendent aussi d’être aux prises avec des difficultés fonctionnelles importantes et invalidantes avant de consulter : crises de panique, peur de sortir de chez soi, etc. « Plus la maladie est traitée tardivement, plus il devient difficile de la contrôler, car elle peut entraîner des séquelles neurologiques graves », précise Dr Fallu. Par exemple, une dépression non traitée peut être un facteur de risque supplémentaire pour développer la maladie d’Alzheimer.

NOUVEAUX TRAITEMENTS

Heureusement, il y a de l’espoir. La médecine dispose aujourd’hui d’une panoplie de traitements qui peuvent être adaptés aux profils des patients. De nouvelles molécules prometteuses ont récemment vu le jour, et d'autres, actuellement au stade de la recherche, arriveront sur le marché au cours des cinq prochaines années.

Des traitements biologiques, comme la neurostimulation, donnent aussi des résultats encourageants. Il n’y a pas de raison de rester silencieux face à la souffrance psychologique. « La médecine a évolué à pas de géant. On peut s’en sortir ! » conclut Dr Fallu.

LES 5 CHOSES QUE DEVRAIT FAIRE VOTRE MÉDECIN

• Documenter le problème à l’aide d’un questionnaire et d’une entrevue poussée ;

• Prendre le temps de vous écouter afin de contourner vos défenses ;

• Éliminer une cause physiologique possible en vous prescrivant un bilan de santé et des analyses sanguines ;

• Prendre des idées suicidaires très au sérieux ;

• Faire preuve d’empathie et vous encourager à vous soigner.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.